Coaching et management de l’incertitude

Une incertitude est une proposition dont on ne sait si elle est vraie ou fausse. Dans la perspective de la logique commune héritée d’Aristote, qui n’admet pas d’autre valeur pour une proposition que d’être vraie ou fausse, l’incertitude est donc un concept au moyen duquel on ne peut construire de démonstration de la vérité.
Rendrait-elle le management impossible, lui qui, dans sa définition canonique, est planification, exécution, contrôle et répond au principe binaire de l’atteinte ou non de l’objectif ? A l’évidence, non.
Aussi, de quelle incertitude parlons-nous lorsqu’il s’agit de management ?
Une ère de l’incertitude a émergé à la fin du XXème siècle jusqu’à devenir un élément structurant de notre société post-moderne. Le développement des technologies, notamment celles dites de « l’immatériel », du traitement de l’information et de la communication, ont engendré la disruption en cascades des modèles économiques et organisationnels des entreprises, imposant en un flot incessant l’irruption de nouveaux acteurs, de nouveaux usages, de nouveaux comportements ; autant de défis pour les équipes dirigeantes.
Un état permanent de remises en cause s’est emparé du quotidien des acteurs économiques et sociaux. Il se propage des uns aux autres dans toutes les sphères de la société en raison du haut degré de leurs interconnexions, au rythme effréné des transports et des canaux de l’information.
Désormais, la seule certitude dont nous disposions est que l’improbable, l’impensé est devenu chose commune. Plus de connaissances stables, plus d’expérience qui vaille au-delà du contexte dans lequel elle s’est constituée, plus de modèle managérial qui nous renseignerait sur le vrai et sur le faux. Les décisions doivent être prises tandis que l’on ne dispose pas de références. Nous constatons a posteriori l’efficacité de nos pratiques.
On a coutume de répéter en coaching que le coaché est compétent, au sens où il serait doté de la capacité à mobiliser ses ressources propres pour résoudre ses interrogations. On admettra que dans un tel environnement, la tâche est rendue plus ardue.
La conclusion s’impose : manager dans l’incertitude, c’est trouver dans le désordre et l’imprédictible des contingences, des configurations inimaginées qui soudain apparaissent à l’esprit et donne son sens à l’ensemble. Le manager confronté à l’incertitude ne se dit pas : voici le cadre méthodologique dans le lequel faire entrer la situation, mais : là, maintenant et dans l’urgence, à quoi faisons-nous face ?
Manager, c’est désormais devoir accepter d’être ébranlé dans ses convictions et son pouvoir, suspendre son jugement, décider au risque d’être démenti par les faits ; c’est épouser les arabesques et les brisures des crises dans une sorte d’identification aux évènements; ne pas chercher à faire entrer ceux-ci dans un ordre préétabli pour mieux en saisir la complexité systémique.
En nos temps où l’immédiateté et nos vulnérabilités collectives dictent notre agenda, à l’égal du manager, le coach doit incarner la permanence et la résilience. Dire que le premier outil du coach, c’est lui-même, c’est dire que le coach, avant le recours à l’outil, mobilise son intelligence émotionnelle, sa capacité à l’empathie et son discernement, ce talent à voir ce qui fait signe. Un coaching de l’incertain ne suit pas un plan préétabli car on n’écrit pas à l’avance l’histoire de la découverte de ce qu’on ne connait pas. Coacher c’est tantôt précéder, tantôt suivre le manager dans ses interrogations, lui prêter une écoute oblique, être disponible à l’imprévu.
Michel Bré
Administrateur du Cercle National du Coaching