Coacher la résilience

Evoquer le coaching de résilience, c’est comprendre de quoi on parle exactement. Le terme s’est largement diffusé dans le grand public jusqu’à s’étendre de nos jours à toutes sortes d’activités et de situations.
Il est souvent fait référence à son emploi en science des matériaux pour en introduire la signification. C’est ainsi que dès 1824, Tredgold, ingénieur en génie civil de son état, désigne par-là la propriété d’un matériau à retrouver son état initial à la suite d’un choc (1). On repère cependant des usages en langue anglaise plus anciens. Bacon appelle résilience la propriété d’un son à rebondir (2).
Le terme est introduit en français en 1906 à propos…de l’élasticité des pneus des vélos de course (3). Mais sans doute conservait-il sa part de mystère, qui fait écrire à Claudel suivant la crise de 29 : « Il y a dans le tempérament américain une qualité que l’on traduit là-bas par le mot resiliency, pour lequel je ne trouve pas en français de correspondant exact, car il unit les idées d’élasticité, de ressort, de ressource et de bonne humeur » (4).
L’extension du terme à la psychologie atteint la France dans les années 90. Elle nous vient du monde anglo-saxon où elle a émergé vingt ans plus tôt, même si l’on peut trouver des inspirations plus anciennes, dans la théorie de l’attachement notamment, voire chez Freud.
A ce jour, il n’existe pas de théorie psychologique ou clinique de la résilience. Elle se présente sous l’aspect d’un champ d’études interdisciplinaires entrecroisant psychologie, psychanalyse, psychiatrie, sociologie, éthologie…autour des facteurs de risques, des mécanismes de la vulnérabilité et de l’aptitude du sujet, en particulier l’enfant, à se développer en dépit d’un trauma ou d’une carence affective.
Dans la perspective du coaching de la résilience, je voudrais attirer l’attention sur l’intérêt à distinguer résistance et résilience. En premier lieu, on peut se demander si l’idée de résilience, si elle présente un intérêt dans le champ thérapeutique ou prophylactique, ne relèverait pas plutôt d’un effet mode en coaching.
Il semble en effet tout à fait loisible d’employer résistance là où on dit résilience et rien n’empêcherait de décrire les processus de reprise du développement psychique en vertu de qualités dynamiques propres à la résistance.
La résistance peut se décrire comme l’opposition à une action ou à une force. La résistance vitale est la propriété des organismes à se maintenir en vie, à réagir aux facteurs de destruction (5). La résistance emporte le refus, refus d’obéir à une injonction, de céder à une pression. Transposé au plan de la subjectivité, la résistance est l’expression d’une volonté, le fait de poser une limite, l’affirmation de l’identité de soi.
Tout autre est le paysage de la résilience. Appliquée à la vie psychique, la résilience se présente comme un processus long et difficile de rétablissement d’une identité abîmée. Au travers d’une néo-expérience, que permet en particulier le transfert en psychanalyse, le sujet parvient à surplomber l’expérience traumatique et en quelque sorte à en dissoudre les impacts qui ont entravé son développement spontané. Pendant très longtemps, j’ai renié cette partie de mon histoire écrit Cyrulnik (6). Et encore : On ne pourra parler de résilience que longtemps après, lorsque l’adulte enfin réparé avouera le fracas de son enfance.
Au plan de la pratique du coaching, nous nous trouvons donc devant deux situations fort différentes.
Si l’identité du coaché est préservée, son potentiel de résistance demeure intact. Les difficultés rencontrées n’entament pas sa capacité à se confronter aux obstacles, à mobiliser sa créativité et à formuler des réponses adéquates dans lesquelles il se reconnait. C’est dans cette capacité que réside la compétence du coaché développée par le coaching orienté solution.
Dans ce cas, le coaching se maintient sur une ligne de crête entre introspection des émotions et analyse rationnelle de l’environnement. Le coach dispose de nombreuses techniques de questionnement. Voire, il peut les enrichir du corpus académique de la psychologie sociale et de la sociologie des organisations.
Mais si l’épreuve subie s’apparente à un choc émotionnel et s’accompagne d’un ébranlement, d’une fragilisation de l’identité du coaché qui peut prendre la forme d’états confusionnels, ces approches touchent à leurs limites. Comme il ne peut être question au cours des quelques séances d’un coaching, souvent moins de dix, d’engager un travail en profondeur, l’empathie du coach s’impose comme un premier mode opératoire pour engager un processus de stabilisation.
Il faudrait définir ici de ce qu’on parle, lorsque l’on évoque l’empathie. C’est une disposition très particulière qui remonte sans doute à nos premiers temps, au cours de ce processus que les psychologues appellent l’accordage, cette faculté de la mère et de l’enfant d’accorder leurs émotions comme s’ils étaient l’un l’autre. Goleman propose une définition également très intéressante : L’empathie repose sur la conscience de soi ; plus nous sommes sensibles à nos émotions, mieux nous réussissons à déchiffrer celles des autres.
La capacité du coach à être présent, hic et nunc, sa capacité à entendre sans se projeter, au sens où l’on entend qu’un chant est juste ou faux, sa capacité à contenir, sa capacité à créer un lien de respect avec le coaché qui peut faire penser à une approche rogérienne, deviennent le préalable aux démarches de nature psycho-cognitives fréquentes en coaching.
On comprend que le coaching de résilience est d’une autre nature que le coaching de résistance. Prendre l’une pour l’autre serait de méprendre.

Michel BRE,
Administrateur du Cercle National du Coaching

1) Tredgold – Principles of Warming and Ventilating Public Buildings – 1824
(2) Bacon – Sylva Sylvarum – 1625
(3) La vie au grand air – 1906
(4) Claudel – L’Élasticité américaine – 1936
(5) CNRTL – Résilience
(6) Cyrulnik – Je me souviens – 2019