Le Coach, le Manager et la Décision
Le coaching individuel en entreprise se concentre par définition, sur le coaché. Ce parti pris s’exprime au moyen d’une définition préalable des objectifs de développement personnel que le coaché devra avoir atteint au terme du coaching pour un meilleur exercice de ses fonctions.
Généralement, ces objectifs relèvent deux catégories : psychologiques et managériaux. Psychologiques : amélioration du relationnel, stabilisation de l’émotionnel, gestion du stress… ; managériaux : développement du leadership, de l’efficience, gestion des priorités… Il arrive que le coaching ait un objectif de pilotage de carrière : prise de fonction, mise en perspective de la trajectoire professionnelle ; ou stratégique : positionnement du coaché dans l’organisation, préparation à des enjeux forts, pilotage d’une transformation…
Quelle que soit la situation, le manager aura à décider et pour autant qu’il soit rationnel, le manager décidera de sorte à ce que son choix lui procure un bénéfice optimal. Bien souvent cependant, le résultat de l’action n’est pas connu du manager en toute certitude.
Comment s’y prend-il alors pour arrêter son choix ? La théorie nous dit que la décision optimale est égale au produit de la probabilité de la situation envisagée par la valeur accordée à l’utilité de l’action. Dans l’exemple suivant trop simple, si une situation a une chance sur deux de se produire (0,5) et que l’utilité de l’action est nulle (0), la décision conduisant à la situation envisagée a, comme on peut s’en douter, une valeur de 0,5 x 0 = 0.
Mais au moment du calcul, tout se complique. Regardons le premier facteur du produit : la situation. La probabilité attribuée à la situation est-elle bien une probabilité intrinsèque, objective, ou bien ne serait-elle pas plutôt le reflet de convictions toutes subjectives ?
Prenons maintenant le second facteur : l’utilité. Sous son air innocent, l’utilité cache un tempérament complexe. Confronté à l’incertitude, il n’est pas certain que le manager fonde résolument sa décision sur le seul calcul des probabilités d’obtenir le gain le meilleur. Son aversion au risque, le poids des usages, la façon dont le problème est posé influence la perception de l’utilité.
Nous savons qu’il existe un déterminisme culturel de la décision. Avec l’aide du mathématicien André Weil, Lévi-Strauss montra que le choix du conjoint est régulé en conformité avec le déterminisme algébrique de la théorie mathématique des groupes (Levi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté). Il existe un déterminisme inconscient des choix de vie. Freud a mis en évidence que de puissantes forces inconscientes suscitées par le refoulement de blessures narcissiques entraînent pour l’individu la répétition de choix qui s’imposent à lui avec la force du destin (Freud, Au-delà du principe de plaisir).
Herbert Simon, Prix Nobel d’Economie 1978, relève que l’individu ne dispose que d’une connaissance imparfaite de son environnement. Il ne possède pas les capacités psychiques qui lui permettraient de calculer toutes les options possibles avant de décider. En pratique, il met un terme à sa réflexion dès lors qu’il estime subjectivement être parvenu à une solution satisfaisante. L’individu agit certes de façon rationnelle, mais dans la limite de ses moyens d’investigation. C’est la notion de rationalité limitée (H. Simon, Administrative Behavior).
Il s’ensuit que le manager a une vision imprécise, voire contradictoire de ce qu’il recherche. Comme la plupart des acteurs dans une organisation, l’un de ses principaux moteurs est la quête de l’autonomie. Il n’est pas nécessaire que cette quête soit réellement consciente pour être à l’œuvre. Cependant, ses interactions avec les logiques d’action des autres acteurs créent des effets de système souvent subtils qui s’imposent d’autant plus à tous que leur existence demeure invisible (Crozier / Friedberg, L’acteur et le système).
Parce que la rationalité limitée reste un impensé de l’organisation, les acteurs en viennent souvent à confondre le symptôme avec le problème, ce qui est visible avec ce qui est en jeu. Tel coaching sera initié au motif d’une communication défectueuse du manager, d’un leadership à la peine, d’un relationnel difficile, tel autre pour sécuriser une prise de fonction… Tous les regards se tournent vers le coaché. Formalisant la demande, il sera assigné aux objectifs du coaching d’approfondir l’alignement du manager avec les orientations de l’organisation, de travailler les comportements et les valeurs.
Il appartient au coach de détourner son regard du doigt pour le pointer vers la lune.
Michel BRE, Administrateur du Cercle National du Coaching