Le coaching survivra-t-il à l'intelligence artificielle ?
Le coaching s’est largement répandu dans les entreprises tout en restant au demeurant mal connu. A la différence d’un programme de formation pour lequel prescripteur et bénéficiaire s’intéressent en premier lieu au contenu, dans le cas du coaching, leur attention se focalise sur le coach. C’est que ses effets passent par la relation entre coach et coaché, c’est le fameux feeling jamais interrogé, facteur décisif du choix du coach. Pour autant, les auteurs du Grand livre du coaching (Bournois, Chavel, Filleron, 2008) écrivent avec justesse que le coaching est devenu un outil majeur de la refondation du sens en entreprise et du rapport à autrui en général.
L’intelligence artificielle dont les applications ne cessent de s’étendre à l’ensemble des activités humaines, pourrait-elle imiter les comportements du coach au point de s’y substituer ? La machine pourrait-elle remplacer l’être humain dans ce qu’il lui est de plus essentiel, la relation émotionnelle à l’autre ? Il existe une hypothèse scientifique en ce sens, dite de l’IA forte, selon l’expression du philosophe américain John Searle : il serait théoriquement possible de construire des machines pensantes. Cette hypothèse ne sera pas discutée dans cet article.
Si le coaching est souvent présenté comme une rencontre singulière entre coach et coaché, il est aussi un marché. Celui d’une prestation de service commandée par des entreprises soucieuses de répondre par ce moyen à un risque (sécuriser la gestion des talents) ou de trouver une réponse opérationnelle à une difficulté relationnelle rencontrée par un ou plusieurs de ses membres.
Certes, l’un des bénéfices induit par le coaching réside dans le développement personnel de son bénéficiaire. Le supplément de discernement qu’il lui procure lui permet de mieux se comprendre, mieux se situer dans l’organisation, mieux saisir le sens des relations qu’il entretient avec son environnement. Certains iraient jusqu’à évoquer le pouvoir émancipateur du coaching.
Cependant, l’humilité conduit à observer que simultanément à ce gain réel, le coaching est une technique normative visant à la conformité sociale et à l’adaptation du bénéficiaire aux normes du groupe. L’entreprise et le coaché attendent en effet du coaching un bénéfice opérationnel concret, conforme aux missions assignées au coaché et compatible avec la culture de l’entreprise. Un coaching réussi est un coaching dont le résultat, constatable à défaut d’être mesurable, est conforme à l’objectif sur lequel les parties signataires se sont entendues.
Dès lors que le coaching est un marché, les formes qu’il est appelé à prendre sont commandées par celui-ci. La relation singulière établie entre le coach et le bénéficiaire n’est pas suspendue dans le vide. Elle s’est historiquement construite dans le contexte d’une crise/mutation de notre société et des organisations des entreprises qui remonte aux années 70 du siècle dernier.
Dans ce premier quart du XXIème siècle, les marchés sont remis en cause par des disruptions technologiques ou économiques incessantes et intenses. Elles démantèlent les chaînes de valeur les mieux établies, redistribuent les rôles, suscitent des demandes nouvelles. Pourquoi le marché du coaching y échapperait-il ? Un certain nombre de facteurs laissent plutôt à penser le contraire :
- Parce que le coaching est une technique normative, il est possible de bâtir des modèles de comportements managériaux.
- Parce que l’intelligence artificielle permet de l’exploitation de quantités considérables de données et le calcul des effets lointains d’une décision, il est possible de bâtir des scénarios comportementaux.
- Parce la réalité augmentée permet d’introduire des éléments virtuels dans la perception de l’environnement réel, il est possible de créer des programmes pédagogiques avec mises en situation.
- Parce que la reconnaissance des émotions donne déjà lieu à de très nombreuses applications (Survey on emotional body gesture recognition, 2018) et que se développe une robotique dite sociale, dotée de la parole et de la capacité de prendre en compte les habitudes et les besoins des humains, il est possible d’établir une relation véritablement ergonomique entre la machine et l’utilisateur (Laurence Devilliers, Des robots et des hommes, 2017).
Aussi, devons-nous nous attendre dans un futur proche à une disruption du marché du coaching. Des applications accessibles depuis un téléphone portable et visualisées à l’aide de lentilles ou de lunettes conçues pour la réalité augmentée permettront au salarié de se passer de l’intermédiation de l’entreprise et du coach. Il sera en mesure d’expérimenter toutes sortes de situations et testera ses réactions sans sortir de chez lui. Toutes les options lui seront offertes et les simulations lui en présenteront les effets. La désirabilité de l’application résidera dans la liberté de suivre un cheminement personnel au moment de son choix.
Il restera au bénéficiaire du service à s’interroger sur le sens des modèles comportementaux qui lui seront proposés et sur l’usage de la masse des informations personnelles voire intimes qu’il laissera à jamais dans le Cloud. Mais cela ne change rien à aujourd’hui…
par Michel Bré
Administrateur du Cercle National du Coaching