Les groupes de codéveloppement au risque du coaching

Michel Bré,
Administrateur CNC

 

Deux québécois dans les années 1980, Adrien Payette et Claude Champagne se croisent. Le premier enseigne le management, le second est psychologue du travail. Ils s’intéressent à l’efficacité des processus collectifs d’apprentissage en milieu professionnel.
Tous deux auraient pu s’engager dans une analyse des interactions au sein des communautés de travail, dévoilant des logiques d’acteur, de constitution de groupe, de reproduction ou de délitement, aussi puissantes que généralement ignorées des acteurs eux-mêmes.
Mais Payette et Champagne ont une préoccupation pédagogique. Ils observent que le salarié demeure relativement isolé dans son poste de travail. Pour Payette et Champagne, cet isolement fait obstacle aux apprentissages et à la performance, à la professionnalisation.
Ils ont l’intuition de l’existence d’un lien entre performance et représentations professionnelles. Le salarié n’est pas efficace simplement en raison de ses compétences techniques. La conscience qu’il a de lui-même en tant que professionnel joue un rôle à cet égard. Identité de soi rime avec création de valeur.
Leur recherche les conduit à élaborer une méthode d’apprentissage en groupe qui tout à la fois : suscite l’implication active des participants dans l’acquisition de nouvelles connaissances ; concourt à leur meilleure compréhension de leur contexte de travail ; promeut des valeurs : respect, bienveillance, parité.
La méthode, simple et efficace, conjugue conduite de groupe par un animateur et études de situations vécues par les participants. Elle se déroule en six étapes :

  1. Exposer de la problématique
  2. Clarification de la problématique
  3. Contrat de consultation
  4. Réactions des participants
  5. Synthèse et plan d’action
  6. Intégration des apprentissages

Je renvoie pour plus de détails à l’ouvrage de Payette et Champagne : Le groupe de codéveloppement professionnel, Presse Universitaire du Québec.
Ces règles ne sont pas sans rappeler les techniques de résolution de problème telles que l’on peut les rencontrer dans des démarches qualité ou de progrès continu. Il s’agit d’exposer un problème, de s’assurer que les termes en sont compris et de mobiliser la créativité du groupe pour dégager des pistes d’amélioration.
Mais Payette et Champagne sont portés par un idéal. Dans une très intéressante interview, Claude Champagne en dégage l’esprit. Certes les règles sont facilitatrices du résultat, indique t-il. Mais elles sont secondes. L’essence d’un groupe de codevéloppement est la création d’un espace de parole dans lequel des personnes, volontaires pour échanger sur leurs pratiques professionnelles, observent les autres participants, s’étonnent, apprennent et acceptent de repartir avec de nouveaux éclairages pour l’action (Entrevue avec Claude Champagne, 2013 https://www.youtube.com/watch?v=qfvalKY1lrY)
C’est arrivé à ce point que je voudrais souligner la convergence entre codéveloppement et coaching.
Posons une hypothèse au préalable qui pourra surprendre : il n’existe pas de définition unique du coaching. Il existe des pratiques au demeurant multiples et des finalités tout aussi multiples. Je distingue ici les premières qui sont en d’autres termes les techniques employées au cours d’un coaching particulier, des secondes, qui reflètent la conception du coaching que se donne le coach.
Posons pour l’intérêt de la réflexion, que l’objectif d’un coaching est de faire advenir un espace de parole dans lequel le bénéficiaire réfléchit à sa pratique, observe, s’étonne, apprend, repart avec de nouveaux éclairages ; alors le parallèle avec le groupe de codéveloppement est patent.
Est-ce un hasard ? Que l’un des deux dispositifs soit collectif tandis que l’autre est individuel change t-il quelque chose à l’affaire ? Un groupe de codéveloppement ne peut-il être abordé comme un cas particulier de coaching de groupe ?
Cette proposition semble nous écarter de la définition de l’animateur de groupe de codéveloppement donnée par Payette et Champagne: facilitateur, expert, formateur et modèle. Certains pourront en effet objecter qu’il n’entre pas dans les attributions du coach d’être expert, formateur et encore moins modèle.
Il s’agit plutôt à mon sens d’enrichir l’animation des groupes de codéveloppement avec les outils du coaching. Un tel apport permet d’obtenir une sensibilité accrue des participants à leurs processus personnels de prise de conscience. Ils acquièrent une compréhension plus précise de leurs interactions avec leur environnement, un approfondissement de leur intériorité et un accroissement en proportion de leurs capacités à être des acteurs conscients et vigilants au sein des organisations.
Au fond, cela n’est rien d’autre que poursuivre la finalité des groupes de codéveloppement fixée par Payette et Champagne : être un outil de développement et d’élargissement de la zone de pouvoir des salariés au sens de l’empowerment.